"Un sceau rouge..."


Présentation de l'oeuvre de Cécile Donato Soupama
Un sceau rouge trouve sa place au sein d’une surface où des palpables et silencieux pigments nous conduisent à l’écoute d’une profondeur immatérielle : épurée dans ses lignes et essentielle dans la saturation de la couleur.
Elle naît de ce paradoxe et y retrouve sa force, sa puissance évocatrice et son mouvement perpétuel.
Le paradoxe d’une artiste dont la voix se laisse entendre malgré son silence, sans qu’aucun signe ne la précède ou ne l’explique, tantôt délicate comme une harmonie lointaine, perdue dans un univers archaïque et immobile, tantôt violente, surgissant de l’énergie collective d’un présent encombrant et multiforme.
Le paradoxe d’une peintre dont on perçoit l’âme par le geste, l’intériorité par le corps, le plus complexe par le primaire, l’immatériel par l’acte physique, concret, de la peinture.

Emprunté à une culture étrangère, ce sceau devient, enfin, l’indice d’un passage et de la rencontre avec un savoir millénaire dont Cécile s’est longtemps nourrie. Il nous renvoie les échos de l’art de la calligraphie chinoise, bien visible dans les œuvres appartenant à la premières des trois phases exposées.
Cette phase, qui date de la rentrée du peintre de Chine, marque une sorte de découverte d’elle-même, de maturité acquise dans la solitude méditée, comme si avant le déplacement géographique et culturel, elle n’existait que par l’intermédiaire des autres.
Grandit dans un milieu artistique et culturel européen, Cécile éprouve, en faite, au début de sa carrière, l’exigence d’un engagement politique direct à travers la peinture et fait de la parole, insérée dans le tableau, le véhicule primaire de sa dénonciation. Elle ne tarde pas, pourtant, à se débarrasser du masque communautaire de l’idéologie partagée pour centrer sa recherche sur la prise de conscience individuelle.

Le dépaysement est à la base du changement et la Chine, bien loin de l’exotisme facile et d’une démarche esthétisante, se manifeste en tant que révélation.
La leçon de Shitao, la découverte de Fabienne Verdier et l’immersion dans la nature à son retour en Europe, permettent à Cécile de commencer à se positionner, à se recentrer sur le geste primaire de la peinture, « l’unique trait du pinceau », en abandonnant l’exigence de se justifier par la revendication sociale.

Cécile n’utilise que des matériaux rudimentaires et organiques qui naissent de la nature et qui en gardent la vie secrète. Elle fabrique de ses mains un mélange de pigments purs et d’huile ayant les couleurs de la terre et la consistance discrète de la poudre: par des gestes savamment répétés elle mêle et juxtapose sa matière et ainsi faisant elle multiplie l’épaisseur de ses toiles brutes, leur donne le mouvement, crée une lumière palpable et poussiéreuse, laisse traîner des ombres et marque des traces subtiles.
Il reste encore des signes graphiques parsemés sur des couches de pigments aux couleurs délicates, parfois translucides grâce au vernis qui joue partiellement le rôle évocateur des mots.
Le sable et le vert clair se mêlent aux bruns et aux rouges, aux grains visibles, les touches de lumière ont la transparence d’un miroir, le lucidité de l’eau.
Les éléments semblent s’effleurer, le liquide s’alterne au terrien et dilue la corporéité organique des pigments, un feu discret allume les marées basses de la matière et il réchauffe l’abstraction, et pourtant, de tout cela, à nos regards attentifs, il ne reste que le souffle aérien : toutes les nuances, pourtant présentes et solides, tendent à disparaître dans l’impalpable, dans le mouvement du vent.

Mais, pour que l’expression visuelle laisse sa place aux entrailles et à l’émotion primaire, il faut un énorme courage et il faut encore attendre : c’est ainsi que s’ouvre la deuxième phase de l’exposition, une période de transit, où le corps est là, latent, et il n’attend que sa découverte.
Au cours de cette époque charnière la parole essaie de disparaître pour laisser sa place au silence.
La solitude maîtrisée et le rapprochement à l’immensité de la nature, dans un isolement voulu au cœur de la Sicile, semblent pouvoir permettre ce passage.
Les graphismes se font de plus en plus rares, le trésor de Chine s’exprime dans le geste plutôt que dans le résultat, la couleur amplifie sa portée et sa profondeur se manifeste en dépit de l’absence de toute perspective et de tout volume recréé.

Ces passages, que l’on a regroupés et distingués pour qu’ils soient compréhensibles, en réalité ne font qu’un, car toute transformation n’existe que dans le continuité et chaque évolution se relie à sa genèse: c’est ainsi que les toiles de Cécile, tout en plongeant dans une troisième dimension et en se rapprochant du transcendant, reviennent à la réalité et que l’énergie cachée du peintre se permet, finalement, d’exploser.

Les deux périodes d’intériorisation, liées au dépaysement géographique et culturelle, à la solitude et à la prise de conscience de soi, s’ouvrent à la violence d’un retour en France qui est aussi, parallèlement, le retour à la confrontation avec la sociabilité.
Pas de mots, pas de sons, pas de transparences descriptives dans cette volonté de s’exposer, nue et muette, à la folie de la vie, du mouvement, du bruit.
Et le noir éclate, saturé, plein, somme de couleurs aveuglées dans l’élan physique et émotionnel qui donne à la peinture, privée de ses signifiants verbaux, la force archaïque de l’oracle.

Que reste-il de l’engagement social de l’adolescence ? Une constante, probablement: le rejet de tout embellissement par les fausses patines des produits chimiques, le refus de l’artificiel et de l’acrylique, des lueurs d’une culture pop qui nous renvoie l’image de notre dégradation à travers le jeu des simulacres et la perte du sacré.

Car si elle refuse l’artificiel ainsi que la gratuité de l’abstraction intellectuelle ce n’est pas pour se réfugier dans les lignes rassurantes d’un nouveau réalisme figuratif ni pour crier à haute voix des sons sourds retentissant l’idéologie, mais pour récréer le réel, en faire vision et rêve, trouver un verbe poétique visuel qui sache se passer des mots et de la représentation, qui ait le courage de suffire à lui-même pour s’ancrer, finalement, au sacré de la terre et aux instances primaires.

C’est alors qu’un sceau rouge carré peut rentrer, en mise en abyme, dans le cadre et nous conduire, et le tableau avec nous, au cœur même de la vie.

Francesca Dosi.
théorie de l'esthétique.
Paris 2009.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire