Photographie, Jaïr Sfez, Paris. |
Comment parler le moins mal possible de la peinture, de tel tableau ?
Donc, parler de la peinture de Cécile. Une proposition.
Il me semble que ce que je ressens face aux tableaux de
Cécile, c'est quelque chose qui renvoie à des mots séparés et qui, d'ordinaire
ne fait pas partie du même champ. Quelque chose comme « choc »,
« joie », « splendeur », « déchirement »,
« assurance malgré tout ».
En tout cas, d'abord le choc, le sens-force qui s'impose
sans représentation ni paraphrase.
Il peut y avoir, en particulier chez Cécile, la violence du
trait, du mouvement. Surtout, s'agit-il des pulsions (ou des
« représentants de pulsions ») ? Il me semble plutôt que les couleurs
ont ici leur force propre, dont on ne peut dire si elle est interne ou externe,
de la « psyché » ou du monde...
Dans l’ensemble de ces tableaux se manifeste un paradoxe,
qu'on retrouve sans doute dans d'autres oeuvres, mais qui me semble
particulièrement sensible dans la peinture de Cécile : la violence du choc
n'empêche pas qu'on soit « bien » dans ces tableaux, qu'ils ne nous
repoussent pas.
Je serais quand même étonné si quelqu'un trouvait cette
peinture « mièvre », « petite » ou « jolie ».
D'autres qualifiants me sembleraient hors pertinence : « raffinée ».
« Élaborée » en revanche, oui.
Peut-être que je peux me risquer à
dire que Cécile a trouvé une voie plus assurée que dans des oeuvres plus
anciennes, celles par exemple où le figural entrait en relation de conflit plus
ou moins provocant, humoristique à un discours qui pouvait, plus ou moins,
apparaître comme définition. Ici davantage le visuel comme tel impose la loi de
son mouvement, dans une totalité conflictuelle, dynamique, que justement
manifeste bien le titre Tumultes.
Il y a ici le mélange de fidélité à soi et d’irruption qui caractérise le style.
Avec, corrélativement, le temps qu’il faut à chacun pour trouver – peut-être
jamais – son style.
Une parenthèse : une question m'est venue. Peint par une
femme ? C'est sans doute une question absurde. D'abord parce qu'on sait que
Cécile « est une femme ». Ensuite parce qu'il y a autant de façons
diverses d'être femme qu'homme. Si on se fie aux caractéristiques fâcheusement
attribuées aux femmes (sans doute un peu moins maintenant que la place des
femmes évolue – lentement – dans la société), elles ne s'appliquent évidemment
pas ici.
Mais surtout, cette question risque de présupposer que
l'oeuvre serait un moyen de manifester un sentiment, une façon d'être qui
existerait par ailleurs. Ou alors, faut-il parler de « féminité
aventureuse » ? Après tout, on peut demander à l'intéressée.
Reste qu'on peut douter qu'il y ait une bonne façon de
parler de ce qui amène quelqu'un à être ce qu'il est, faire ce qu'il fait,
surtout quand il s'agit de créer une oeuvre en grande partie autonome par
rapport au style quotidien de l'auteur (e). Cela ne relève évidemment pas du
projet explicite. Mais gagne-t-on quelque chose à évoquer
« l'inconscient » ou l' « anima », comme me le suggère
Cécile face à la difficulté de trouver un « bon mot » ? Peut-être
est-il préférable de parler, toujours selon la suggestion de Cécile, des
capacités du corps, spécifiquement de la main, de la mémoire, ou des mémoires,
tous « ouverts » ou « potentiels » qui ne peuvent
s'actualiser sous une forme assignable que, justement, dans la création d'une
forme (ici tableau, ailleurs chant ou...).
Sans doute le fait que Cécile donne un titre à ses tableaux
fait-il partie justement du « retour discursif », qu'on vient
d'évoquer. J'ai posé la question à Cécile et je me
permets de citer ici ce qu'elle m'a répondu : « les
titres sont souvent des références à des hommages, Saviano, Impastato,
Xiaobo... mais pour être sincère, j'ai l'impression que mes titres ont une
fonction seulement didactique, un souhait d'être comprise, en tout cas de
situer le contexte. Mais au fond, souvent le titre perturbe, j'aime ce
décalage, que cela reste énigmatique, étrange.
Quelque part garder sa part de
mystère, voir même sa part d'autisme...
Oui, la peinture me donne cette
sensation parfois, qu'elle me porte, qu'elle me mène où elle veut. Souvent j'en
comprends le sens et la cohérence bien après.
L'action de peindre, en train de
peindre, je l'associe à une espèce d'inconscience éveillée qui nous
échappe ».
Dans ces propos de Cécile, ce qui
me frappe, c'est d'abord l'ensemble des mouvements discursifs, des
approximations successives. Et puis, je suis illuminé par la formule
« inconscience éveillée qui nous échappe » : le choc que
donnent ces tableaux n'a rien à voir avec une intention consciente de l'auteure
que nous devrions saisir. Et, corrélativement, si « dire » peut
contribuer, avec un peu de chance, à la façon dont l'oeuvre fait sens /effet/
choc, nous donne à penser, cela n'implique pas que le discours puisse donner la « vérité de l'oeuvre ».
Pour finir
Peut-on dire quelque chose de spécifique du moment où on est
pris dans la contemplation d'une oeuvre par opposition aux « occupations
courantes de la vie » ?
On peut, sans doute, parler avec Max Weber d'un
« désenchantement du monde », dans le monde
scientifique-technique-bureaucratique-dominé par l'argent comme par le
quantifiable dans lequel nous vivons. Faut-il dire alors que la contemplation
de l'oeuvre d'art rend possible – pas nécessaire – un certain « réenchantement du monde » ? Mais quel
sens exact pour cette formulation ? Il ne s'agit sûrement pas d'un retour à un
supposé monde « magique », plutôt quelque chose comme une façon de ne
pas séparer « apparence » et « réalité », comme tend
toujours à le supposer la volonté d'expliquer. Et puis, ce n'est pas une
spécificité de la peinture. Un film, un moment musical, un poème peuvent aussi
« réenchanter ». Tout comme
une promenade en forêt ou dans la ville qui dort. « Réenchantement »
ne prendra alors du sens que si la relative spécificité de telle façon de
réenchanter peut être cernée. Peut-être alors la peinture actuelle est dans le
paradoxe : être sorti du religieux, mais comme le religieux,
« célébration », célébration du monde et de la force du sensible. Et
cela, d'autant plus qu'elle ne cherche pas à représenter.
Et puis, outre les formes de désenchantement dont il vient
d'être question, je ne sais pas si c'est un trait personnel, mais je ressens de
la lassitude à l'égard d'un monde où l’on parle trop. Peut-être que le réenchantement
du monde se fait justement grâce au silence, au fait que nous ne sommes pas
obligés de parler, que la peinture (telle peinture) nous oblige à nous taire
(et, par parenthèse nous fait sortir aussi de l'excès des images d'actualité
et-ou de publicité). Peut-être que c'est l'affinité profonde entre la peinture
de Cécile et le silence, le fait qu'elle ne raconte rien qui fait sa capacité
de réenchantement. Un peu comme, hors de toute pratique religieuse, le cloître
nous fait sentir la vertu du silence.
On a essayé d'évoquer le
style d'une oeuvre. Mais les choses sont sans doute un peu plus compliquées. Il
y a plutôt des styles et la
distance dans le dialogue entre ces styles : style de l'oeuvre, style de telle
réception, style de tel discours sur,
style de réception de ce discours. En tout cas, si une oeuvre picturale peut
s'imposer, un discours est sans cesse à reprendre. Est-ce donc, une fois le
discours tenu, on va « mieux regarder » le tableau ? C'est possible,
ce n'est pas certain.
Frédéric François, philosophe. Paris, Mai 2011.
superbes !!!! Ca donne envie de tout acheter !!!!
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